Une carte sonore des forêts de la planète.
Si les forêts vous manquent, si les voyages immobiles vous parlent (notamment depuis mars 2020), si vous êtes sensibles aux chants des oiseaux, vous devriez aimer ce projet du International Timber Festival, un festival britannique dédié aux forêts.
Il s’appelle « Sounds of the Forest » et il permet d’écouter les forêts du monde via une carte sonore collaborative. Les sons collectés constituent une base de données open source pour les artistes du monde entier qui souhaitent utiliser ces mélodies naturelles dans leurs créations.
La forêt morvandelle n’est pas encore représentée à l’heure où j’écris ces lignes (je vais tacher d’y remédier 😙) mais je voulais profiter de ce post pour évoquer un sujet dont je parle régulièrement sur mon compte Instagram : celui du drame des coupes rases et de l’accélération de l’exploitation intensive de nos forêts.
À notre arrivée dans le Morvan, il y a plus de 7 ans maintenant, je ne savais rien de ce territoire. Je pensais naïvement que « le douglas du Morvan » était une espèce poussant nativement sur le massif depuis la nuit des temps. Les plantations de sapins sont en réalité apparues au milieu du XIXe siècle et le douglas est une essence nord américaine. Dans les années 1970, les plantations de résineux représentaient environ 25% des surfaces boisées du Morvan contre 60% aujourd’hui ! Les sapins ça pousse vite vous comprenez et le douglas est un arbre aux qualités exceptionnelles, il est vrai.
Alors on détruit les forêts d’origine pour les remplacer par des cultures d’arbres (qui sont des unités d’exploitation et non des forêts)… et cela à un rythme très rapide. Comme si cela ne suffisait pas, les diamètres d’exploitabilité et l’âge des coupes ne cessent de réduire : de 60-70 ans en 2011 à 30-40 ans aujourd’hui pour le douglas. Cette année, je peux vous dire que les coupes rases sont massives dans le Morvan. Nous n’avons jamais vu autant de flancs de montagnes ravagés et de camions chargés de bois sillonnant nos petites routes de campagne.
Ce n’est qu’en me rapprochant d’associations comme Adret Morvan (une association locale qui lutte contre l’enrésinement de la forêt par les industriels et contre l’inertie des politiques) que j’ai commencé à comprendre les enjeux qui se jouent sur ce territoire forestier (et dans toutes les forêts de France en fait).
Ici comme ailleurs, de nombreuses parcelles de feuillus diversifiés ont été transformées en parcelles de résineux dans une logique de haute rentabilité à court terme. La monoculture intensive du bois transforme les forêts en plantations industrielles dont les incidences sur les sols, l’eau, le carbone et la biodiversité sont catastrophiques. Alors que l’État devrait encourager une gestion raisonnée des forêts, il subventionne au contraire des pratiques dénuées de tout bon sens.
Bien sûr nous, humains, avons besoin de bois et bien sûr, c’est un formidable matériau renouvelable mais la sylviculture douce existe et rien n’est fait pour la promouvoir ou si peu. En procédant par prélèvements raisonnés au sein de forêts diversifiées (différents essences de tout âges), les coupes ciblées ont l’avantage de pérenniser la qualité des sols et de l’eau, de maintenir les écosystèmes forestiers (dont les animaux), de limiter les attaques dévastatrices d’insectes comme les scolytes (qui prolifèrent grâce au réchauffement climatique) et de stocker plus de carbone en forêt.
Sur une échelle de temps plus longue certes, la sylviculture douce permet de produire autant de bois et de meilleure qualité que les plantations industrielles mais fait l’objet de beaucoup moins de subventions. Un comble dans un contexte d’urgence écologique comme le notre ! C’est que la filière industrielle du bois sait y faire en matière de lobbying… nombre de « grands » élus siégeant à Paris sont d’ailleurs de grands propriétaires privés de forêts (notamment le président du Sénat lui-même). Pendant ce temps, on refuse la parole aux instances des Parcs naturels régionaux, aux « petits » élus locaux et aux agents de l’ONF qui pourraient accompagner de façon constructive une réflexion globale sur l’avenir de nos forêts.
Je ne sais pas si la mobilisation citoyenne parviendra à faire évoluer ces questions complexes mais force est de constater que les médias multiplient les sujets ces derniers mois à l’image de la Une de Télérama la semaine dernière ou du reportage de « Sur le Front » de mars dernier (vous retrouverez les liens vers de nombreux documentaires sur cette page de l’association Adret Morvan).
J’ai toujours trouvé que les forêts étaient le meilleur endroit pour se ressourcer. J’étais loin d’imaginer que les forêts françaises se trouvaient dans un état aussi préoccupant.
Ce qui m’a le plus choqué pendant le tournage, ce sont les coupes rases. Cette pratique consiste à couper entièrement un coin de forêt avec des abatteuses industrielles, aussi impressionnantes que dévastatrices. Là où elles passent, tout est récuré, il ne reste plus rien et tout le sol est totalement retourné.
Nous avons aussi découvert que, de plus en plus souvent, le bois n’était plus utilisé pour fabriquer des meubles mais pour être brûlé dans des chaudières. Cette transformation en « bois énergie » est subventionnée par l’État. Il est même prévu d’utiliser les arbres pour remplacer le charbon dans les centrales électriques. La ville de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, pourrait lancer la production dans les semaines qui viennent. Pour effectuer les premiers tests, ils ont déjà fait venir des arbres… du Brésil ! Il faut arrêter cette folie.
On entend dire fréquemment que la superficie de la forêt ne cesse de s’agrandir en France mais ce sont surtout des plantations qui se développent, des rangées de résineux, de vastes champs d’arbres. Or ces plantations ne jouent pas du tout le même rôle pour la planète. Selon une étude menée par une université anglaise, les champs d’arbres captent 40 fois moins de CO2 qu’une forêt naturelle. Ces arbres ne résistent pas au changement climatique, ils sont de plus en plus secs, ils tombent à la moindre tempête. La chaleur favorise le développement des parasites qui anéantissent des plantations entières. Quelle tristesse de voir une forêt d’épicéas entièrement morte qu’il faut raser au plus vite.
Mais heureusement une prise de conscience existe. Des citoyens se battent pour protéger les arbres, notre meilleur bouclier contre le changement climatique. Nous avons été émus par Lucienne, 79 ans, la première militante du Morvan qui n’a jamais reculé face aux menaces. Elle a même pu racheter une forêt pour la laisser se développer. Le combat de Sylvain lui aussi nous a redonné de l’espoir. Il a créé un réseau de lanceurs d’alerte dans toutes les forêts de France pour s’opposer aux coupes rases et lutter contre le développement non maîtrisé du « bois énergie ». Partout en France, une nouvelle génération de propriétaires tente d’exploiter la forêt en revenant à des pratiques respectueuses de la nature. Ils replantent de vieilles essences, des charmes, des tilleuls, des hêtres en mesure de mieux résister au changement climatique.
Il faut se battre pour convaincre les élus d’interdire les coupes rases. Il est urgent de réapprendre à exploiter les forêts sans détruire l’écosystème. L’industrie doit s’adapter aux ressources et non pas le contraire.
Hugo Clément – Journaliste
Si tout cela vous parle et vous touche, il existe plein de petites associations locales qui ont besoin de soutien (l’adhésion annuelle à Adret Morvan ne représente que 10€). Vous pouvez aussi devenir sociétaire d’un groupement forestier citoyen, comme celui du Chat sauvage, qui acquiert et gère des forêts dans le Morvan dans une perspective de sylviculture raisonnée.